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La danse de Julie_

  • Writer: Alice
    Alice
  • Nov 5, 2018
  • 2 min read

9h du matin, sous un ciel en ciment, le train derrière moi s'empresse de quitter une des gares épuisées de la banlieue bruxelloise, pendant que je pousse la porte du centre psychiatrique qui est juste en face.


Personne ne m'attend, ils ont confondu les emplois du temps de la semaine et de celle suivante. L'électricité est coupée et le sera jusqu'à midi, je ne pourrai pas jouer la musique pour mon atelier de danse-thérapie. Cerise sur le gâteau, le sol de la salle polyvalente n'a pas été nettoyé et est en pitoyable état. Je soupire, puis, au lieu des tapis, en cercle j'installe les chaises et je sors les balles de tennis pour le massage des pieds. Il faut bien rebondir et trouver une solution pour sauver la séance malgré tout.

La référente de l'internat arrive avec ses résidents et parmi eux il y a Julia (nom fictif), une nouvelle. Elle est petite, frêle, elle porte une veste à capuche noire qui doit faire trois tailles au dessus de la sienne et elle semble avoir quinze, seize ans au maximum. Son visage pointu est dominé par ses yeux clairs, très clairs. Trop clairs? Non ce n'est pas ça...c'est son regard qui m'interpelle, si fuyant, figé quelque part entre le sol et les autres. Il ne m'est pas donné de savoir quel est son diagnostic, mais dans ce minuscule corps verrouillé quelque chose parle d'une souffrance extrême.


Après le jeu de présentation nous commençons à nous masser. Quand nous abordons les percussions osseuses, Julia qui a démarré par un tapotage très lèger de ses os y va de plus en plus fort. Elle insiste sur les côtes, le sacrum, le bassin. "Ça fait du bien!", elle crie dans le silence général, ouvrant le regard et sa posture. Je souris, je ris : Julia vibre avec sa squelette, elle sent son corps, elle l'a trouvé, enfin, elle est là.

Le reste de la séance est un crescendo de joie, Julia participe à tous les jeux, montre des réflexes rapides, accepte de conduire et de suivre, saute, virevolte, pulse dans une explosion enfantine de plaisir sensori-moteur.


Pendant la relaxation qui suit elle me demande une couverture. Elle s'installe sur le côté, en boule, ignore ma demande de se coucher sur le dos tout comme mes indications suivantes. D'un coup elle lève la tête, regarde les autres, me regarde; je m'approche, je lui touche le dos, elle s'allonge et referme les yeux. La séquence se répète une, deux, quatre fois...puis, doucement, elle s'endort.

Quand elle se lève sa référante lui demande si ça lui a fait du bien. "Oui, ça fait du bien! - dit-elle - Parce que à l'hôpital là où je vis on n'a pas de relaxation, alors je me relaxe toute la journée dans mon lit!".


Nous qui avons un métier qui commence par un "psycho-" quelconque on nous appelle parfois "professionnels de la relation", mais quand je rencontre une patiente comme Julia cela me fait juste rire. Combien apprend-t-on de la danse de l'Autre, si on se donne la peine de la regarder, même quand elle se présente sous des formes totalement inattendues.




 
 
 

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