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Seul le bazar_

  • Writer: Alice
    Alice
  • Aug 14, 2024
  • 4 min read

Le marché Koum-Tepa se tient deux fois par semaine aux portes de Marghilon, ce qui le rend certainement un évènement davantage exceptionnel, même pour les gens d'ici, que les bazars traditionnels qu'on croirait ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Quand je descends du minibus qui m'y a déposée, je suis aussitôt emportée par une foule qui m'engloutit et m'emmène avec elle de l'autre côté de la route. J'en émerge non sans efforts au milieu d'échoppes de fruits, légumes, œufs et l'immanquable pain en forme de soleil, tradition transmise tout droit de l'époque où le zoroastrisme était la religion principale, et qui se vend toujours par deux, pour quelle sorte de croyance superstitieuse j'en ai aucune idée.


Je commence à avoir l'habitude des bazars, bien qu'ils restent une de mes étapes préférées dans tout Pays que je visite. C'est rare qu'ils me surprennent, mais ici en Ouzbékistan j'ai été frappée par la quantité industrielle de marchandise présentée sur les étagères, clairement disproportionnée par rapport aux capacités de vente. On dirait qu'ils attendent que le Pays entier vienne faire ses provisions, et cela qu'il s'agisse d'oignons, melons, balais en paille ou linge de maison. Et, bien sûr, le pain: on fait du pain à toute heure du jour et de la nuit, les chariots sont toujours remplis et il y en a des dizaines et des dizaines. Qui va bien pouvoir manger tout ça, est un réel mystère.

Je tourne et je tourne et je ne vois que des vendeurs de nourriture, alors que ce bazar est censé être un des lieux les plus intéressants pour acheter des tissus en soie, dont Marghilon est la capitale. Seulement après un bon moment je m'aperçois que le marché continue au delà de la route principale par laquelle on est arrivés. Ballottée dans tous les sens par les carovanes de gens qui traversent les allées étroites de cette fourmilière, je regagne la sortie pour tenter de traverser la route; le souci est que je suis la seule à ne pas savoir où aller, tous les autres connaissent le marché comme leurs poches et savent exactement où ils ont besoin de se diriger. On dirait que personne ne s'arrête jamais de marcher ici, c'est un flux continu d'êtres humains aux maintes directions, comment ils puissent faire leur courses dans ce mouvement perpétuel est un mystère de plus. Et puis soudainement tout le monde se retrouve à traverser la route de manière ordonnée, sur le passage piéton, où un policier veille à arrêter le circulation pour nous laisser passer, créant ainsi l'énième oxymoron expérimenté durant ce voyage.

De l'autre côté du marché la marchandise est répartie dans des secteurs bien distincts, qui se dévoilent les uns après les autres aux yeux du visiteur, comme les différents couloirs d'un labyrinthe. Je passe de la quincaillerie aux chaussures, aux manteaux et chapeaux de fourrure, de la vaisselle, avec un rayon spécial théières, aux pièces de rechange pour les voitures, des meubles à la papeterie, de l'électronique pour la maison aux voiles pour femmes et, bien sûr, la section dédiée aux produits textiles: soie, tissus en tout genre et broderies dorées traditionnelles. À force de chercher je tombe même sur une allée de vendeurs de plantes décoratives, très insolites pour un bazar de ce genre.


Si du côté de l'alimentaire ce sont les odeurs qui accompagnent le visiteur dans son exploration - le parfum piquant des épices puis l'acidité des petites boules de fromage séché, la puanteur de la viande exposée puis la douceur des gâteaux au beurre vendus à l'unité - là où je me trouve ce sont les sons à me guider dans la découverte: les étagères chargées de tissus étouffent les cris des vendeurs et des clients qui marchandent, tandis que dans le porche aux chaussures les voix semblent rebondir sur le cuir en claquant, et résonner doublement. Dans certains secteurs règne un calme bienvenu, c'est le cas de l'allée réservée aux vendeurs de tapis. Il y en a de toutes les dimensions, mais surtout grands, très grands, plus grands que n'importe quel besoin de tapis qu'on puisse imaginer. Un investissement de ce genre doit forcément être un achat plus réfléchi que les petites courses de tous les jours que l'on fait avec hâte et la tête ailleurs, ce qui explique l'ambiance paisible de ce coin de marché.


Mais la cohue n'a l'air de déranger personne, les ouzbèkes supportent la proximité physique avec les inconnus de manière exemplaire, à un point qui serait impensable chez nous: il m'est arrivé de me retrouver dans un DAB à Tashkent avec sept ou huit personnes, tous, moi comprise, avec l'argent en main et les sacs ouverts, à plusieurs devant un écran en essayant de le faire fonctionner. Il ne manquait presque plus que quelqu'un fasse le code à ma place. Ici sur le marché les distances s'annulent carrément, non seulement corporellement mais moralement: on se cogne et on se bouscule et on effleure la peaux les uns des autres sans dire un mot d'excuse, comme si rien ne s'était passé; moi, eux, la foule se confondent, les limites se liquéfient au soleil et n'existent plus. On fusionne, seul le bazar existe et rien d'autre en dehors de lui.



 
 
 

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