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La destination_

  • Writer: Alice
    Alice
  • Jul 4, 2019
  • 4 min read

Updated: Jul 5, 2019

L'avion que de Turin doit m'emmener à Catane est presque rempli. La moyenne d'âge au gate frôle celle du club de pétanque de Mallemort de Province: apparemment un bon nombre de jeunes expatriés siciliens ont invité leurs parents à la ville pour un week-end de folie, et le mercredi c'est la journée moins chère pour voler. À la lenteur des opérations d'embarquement, gérées par une low cost au planning congestionné

et structurellement en retard, s'ajoute la lenteur de ce groupe de vacanciers étourdis par les retrouvailles et les au revoirs. Cela suffit pour pousser mes nerfs, eux aussi bien congestionnés, à bout. Une dame qui ose traîner debout dans le couloir, alors que la moitié des passagers pousse derrière moi en mode bélier, en fait les dépenses. Ce ne sera qu'une de plus qui pensera que je suis imbuvable, je soupire.


Je suis assise côté couloir et cela rend l'atterrissage sans intérêt. Sortie de l'aéroport le bus pour le centre ville est, dieu merci, juste en face. Je parviens à sortir un sourire qui m'a l'air excessivement doux en m'adressant au conducteur, puis je m'écroule sur le siège juste à côté. Où est passée toute l'excitation que je ressentais avant le départ? Il fait chaud, j'ai faim, j'attends des nouvelles de quelqu'un qui n'en donnera pas, mon sac devient lourd et le scratch de la bretelle a abîmé ma chemise. Bref, c'est le quart d'heure où j'ai perdu de vue le sens de l'existence. Je ne veux pas être là, mais je ne voudrais être nulle part ailleurs.

Et pourtant il ne faut pas grand-chose pour que les souvenirs du temps où je vivais ici resurgissent. Nous passons devant ce qui était il y a quinze ans le gros hypermarché du coin. Je prenais le bus en exprès pour y venir faire les courses, dans une ville où le marché offrait tout l'imaginable et l'inimaginable aussi; mais pour moi, qui venait du nord, ces souks pleins de merveilles étaient encore une nouveauté que ne savais pas très bien comment gérer. Si j'avais su que par la suite ce serait devenu le détour irremplaçable de mes voyages...


Dans le bus il n'y a que des touristes, or c'est vrai qu'il vient de l'aéroport mais en réalité les siciliens ne sont pas convaincus de l'existence des transports en commun. Ou d'au moins ils restent méfiants. Le conducteur annonce haute voix les arrêts, un peu comme dans ces minibus des certains pays exotiques, et ça fait un drôle de mélange avec le véhicule moderne à bord duquel nous nous trouvons. Dix minutes après nous sommes déjà à la gare centrale, là où j'ai rendez-vous avec mes collègues dans plus d'une demie-heure. La carte affichée sur la fenêtre montre un parcours en boucle, en gros la ligne fait le tour du centre avant de repasser par la gare et retourner au point de départ. Je décide alors de ne pas descendre tout de suite et profiter de la balade en ville pour laisser venir d'autres mémoires.


Nous parcourons Corso Italia, là où je me fis coller la première amende de ma vie, dans un bus au juste. Je comptais sur le fait qu'elle ne serait jamais arrivée à destination, mais elle arriva bien et ma mère ne fut pas contente. Nous longeons des bâtiments art nouveau beaux à couper le souffle et des casernes immondes de la période fasciste, les universités, quelque chiosco, ces petits gazebos sans terrasse qui vendent des boissons à boire debout en discutant de rien (ou toujours des mêmes choses). J'y allais avec mes amis boire le mandarine, ou le café à 50 cents. L'idée qu'un café puisse coûter seulement 50 cents me rendait authentiquement joyeuse; je rentrais chez mes parents en Toscane et je leur narrais les milles et une découvertes de cette Sicile, qui paraissait alors le bout du monde. Une fois je pris un plateau d'arancini dans l'avion comme bagage à main, il fallait qu'ils goûtent au mystère ultime de la délice terrestre, peu importe si un peu amoché.

Je vis ici à peu près un an, un an où mes rêves commencèrent à se fêler et un peu de lumière à entrer par ces fêlures. Mon corps s'enroba de gras pendant ces mois, je m'en aperçut à peine avant qu'il soit trop tard: l'armure relationnelle que j'avais sous mes os je la déplaçai sous ma peau. Je vois maintenant que ce fut le premier pas pour la laisser tomber, et bien que ce gras me dérange encore et que je le porte solidement incrusté dans ma tête, de l'armure aujourd'hui je me suis presque défaite. Presque.


C'est encore le conducteur qui me sort de ma rêverie en me demandant où je vais descendre. Je lui explique que j'ai fait en exprès d'attendre. "Tu sais - il dit avec le même sourire que moi - parfois les gens font le tour et se retrouvent de nouveau à l'aéroport. Heureusement que je fais attention, je leur demande où ils veulent aller et je les préviens! Tu dois prendre le train? Ah, le bus...non, il n'y a pas de numéro, c'est écrit où ils vont. Chaque bus a sa destination!"


Passer les quatre prochains jours en immersion dans les idiosyncrasies des autres va être éprouvant, alors que les miennes mes semblent déjà assez insupportables. Mais pour l'instant cela me paraît une vérité spirituelle assez solide que pour m'y accrocher, le fait que quoi qu'il arrive, pour un bus il y aura toujours une destination.






 
 
 

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