Là où tout se passe sans besoin de le crier_
- Alice
- Aug 13, 2020
- 3 min read
Nous avons eu tout juste le temps de chanter les louanges du temps à Tehran, chaud mais sec, frais au matin et agréable au soir, que le bus arrive au terminal de Kashan, 200 km plus bas, où la température est dramatiquement plus élevée. Ici le soleil brille au point qu'il est impossible de garder les yeux ouverts, même dans l'ombre, et la chaleur y est écrasante.
Mahsa et Reihane ont réservé une chambre pour nous quatre à l'auberge du musée des marionnettes et du jouet. C'est un lieu délicieux, où toutes les chambres donnent sur une court carrée peinte en blanc et céleste. Au sous sol se trouve le petit musée qui récolte des guignols et d'autres jouets, d'Iran et di monde entier, du 18ème siècle en avant. Les pièces dans les petites vitrines sont modestes et parfois en mauvais état, mais l'ensemble est terriblement poétique. Une affiche publicitaire invite à découvrir ce lieu pour replonger dans l'enfance en rejouant des jeux d'autrefois; dans un Pays où la seule festivité permise est la réplique d'un deuil vieux de 1400 ans, avec ses villes habillées en noir de fond en comble et sa bande son faite de pleurs et lamentations, une telle affirmation m'apparaît en soi radicalement subversive.
En ville nous visitons les demeures historiques et le hammam, des vrais labyrinthes de miroirs, verre et bas-reliefs en dentelle auxquels mes photos ne vont pas arriver à rendre justice, je m'aperçois assez rapidement. Nous marchons ensuite vers la mosquée, dont nous apercevons tout d'abord la cupole et les minarets au delà d'un des hauts murs en adobe qui longent les ruelles du centre. À l'entrée, le rituel des draps de lit que nous avions vécu à Tajrish se répète, mais cette fois une Madame Chador nous aide à les endosser correctement.
À l'intérieur les quelques visiteurs s'éparpillent dans l'immensité de l'enceinte, et l'espace semble toujours vide. Les spectacle du temple au coucher du soleil est langoureux, la lumière turquoise coule sur les courbes dorées de la coupole et du portail et confère à la scène l'air d'un tableau orientaliste du 17ème siècle. Les femmes-fantômes en blanc et noir y sont aussi pour quelque chose dans cette impression qu'on a de transcender la réalité.
À la sortie j'enlève le draps et mon voile tombe, laissant ma tête découverte. Madame Chador se précipite vers moi pour m'aider et remonter rapidement mon hijab; dans son toucher je ne ressens aucun reproche, plutôt le souci presque maternel de tout faire pour que la colère de dieu me soit épargnée.
Le mood du groupe est en mode farceur, on rigole pour un rien et sans arrêt, peut-être pour balancer le bain de spiritualité à peine reçu. Je ne sais plus pour quelle raison Reihane nomme Fidel Castro, sur quoi Monika et moi levons d'emblée le poing et chantons le refrain de "Bandiera rossa" à haute voix. L'élan musical continuera pendant toute la balade au Grand Bazar, et nous passerons, dans l'ordre, Queen, Abba, Cochi e Renato, Edith Piaf et plusieurs de ces chansons que tout le monde connaît par coeur mais personne sait qui les chante. Nous avons droit à quelques regards surpris, car il est vrai qu'il est rare de voir des manifestations d'hilarité aussi évidentes dans les rues, mais dans l'ensemble personne paraît vraiment choqué, ou pire.
Après un thé au foyer du Grand Bazar, où nous plongeons nos pieds enflés dans la fontaine, nous terminons la journée en dinant dans un énième merveilleux patio fleuri, où quatre plats et deux entrées plus les boissons nous reviennent au prix ridicule de douze euros en tout.
Demain matin Monika et moi allons essayer d'être en route avant 9h pour Isfahan, encore une ville au nom mystérieux qui promet de nous éblouir avec sa beauté. Je doute toutefois qu'elle aura le même charme paisible de Kashan, avec ses magasins de roses séchées, si silencieuse ce soir, sombre, déserte et pourtant rassurante, lieu où tout se passe sans besoin de le crier.
Comments