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Où est passée l'insouciance_

  • Writer: Alice
    Alice
  • Aug 14, 2024
  • 3 min read

17h, Gare de Lyon, le soleil est bas sur les toits de Paris. Mais il est là, et veux-tu pour ce temps superbe, veux-tu pour la saison encore acerbe, cela me surprend.


Je m'assois à ma place, le train ne partira que dans une petite demi-heure mais je suis montée à bord, que faire d'autre? Je branche mon téléphone sur la prise, une pour deux sièges. "Avec un peu de chance il n'y aura personne près de moi", je me dis (et je ris jaune en même temps).


Hélas, ça ne dure pas. Un type s'installe sur le siège à côté, il paraît très discret jusqu'au moment où il sort un ordinateur qui fait la taille d'un département, et un hamburger-frites qui pue comme le fritkot de la Barrière de Saint-Gilles. Il reçoit deux appels en l'espace de quatre minutes, il répond tout en dégustant ses frites au ketchup radioactif. Il est très gêné, soucieux de ne pas déranger, "Je te laisse", il dit aux interlocuteurs, "je ne peux pas parler dans le train". Perso, j'aurais préféré l'entendre que le sentir. Son gobelet de soda, lui aussi d'une dimension embarrassante, tremble de manière périlleuse sur le bord de sa tablette. Je prie pour qu'il ne finisse pas sa carrière sur mon jeans, car pour trois jours je n'ai pas pris de pantalon de rechange.

Fini son en-cas, il allume l'ordinateur (il doit gérer des trucs d'importance capitale avec un machin aussi encombrant), il ouvre douze programmes que je serais incapable d'identifier, et commence à taper. Quelque chose l'inquiète toutefois, il s'agite, il regarde, il songe. Soudain il prend ses affaires, gobelet géant inclus, et se déplace de quelques files en arrière, là où la prise est libre. Ah! La globe-trotteuse en moi somnole mais est toujours vivante.


Première règle de survie du baroudeur : arriver tôt et occuper toutes les sources d'électricité disponible. Cela vous garantira un voyage tranquille et asocial, tel que vous le désirez.


Il n'y a pas si longtemps que j'ai déposé mon sac, tout compte fait et compte tenu de l'ouragan que nous traversons. Et pourtant aujourd'hui partir c'est compliqué, moins fluide que d'habitude, ou qu'avant. Je me sens maladroite, éparpillée, ma petite veste de voyage tire un peu sur mes hanches, le sac est trop lourd et les vêtements mal choisis, je vais avoir froid à tous les coups. J'angoisse un peu, un peu trop au vu du voyage. Je ne sais même pas si on peut l'appeler voyage. Comment ai-je pu partir un, deux, trois mois autrefois? Étais-je folle ou je le suis aujourd'hui, quand je stresse pour quatre nuits dehors?


Je pense déjà au retour, même à revenir un jour plus tôt, le pauvre chat serait content et moi rassurée de voir qu'il va bien. J'aurais une journée entière pour remettre les choses en ordre avant de rattaquer la semaine. Une journée entière pour reprendre le contrôle. Depuis quand perdre le contrôle m'angoisse?


Où est passée l'insouciance, où est passé le courage, où la soif d'errer et le besoin de sentir la terre rouler sous les pieds, depuis quand la maison est devenu le seul lieu sûr sur cette planète? Depuis quand je vieillis? Est-ce moi qui vieillit? Ou on a tous vieilli mille ans en un?



Mince, première station, un autre voyageur s'installe à côté de moi. Ma joyeuse solitude n'aura pas été longue. Je ne lâcherai pas la prise, peu importe si le portable est chargé. Si je deviens un vieille fille avec des manies de contrôle, que ça serve à quelque chose.

 
 
 

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