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Paris_

  • Writer: Alice
    Alice
  • Aug 14, 2024
  • 3 min read

Lovée sur le siège arrière d'un taxi qui m'emporte, je regarde défiler les lumières et les vitres de cette ville dans la ville qui est Charles de Gaulle. Je m'étonne de son efficience et je m'étonne, comme à chaque fois, d'avoir été seulement quelques minutes avant suspendue dans les airs - et à la bonne conscience de deux pilotes -, d'avoir décollé et atterri sans un rebond et, finalement, d'être en vie.


Paris ne dort pas encore et les tunnels du périphérique intérieur engloutissent des files infinies de camions, obligés à faire le tour de la ville car le boulevard extérieur est fermé ce soir-là. On s'en sort en zigzaguant entre la voie du milieu et la voie rapide. Le chauffeur ne prononce pas un mot et ça m'arrange. Moi, je dormirai bientôt.


Parfois, Paris m'apparaît encore inatteignable, même si j'y vis depuis trois ans. Quand je me promène, d'autres samedi soirs, sur les pentes de Montmartre, et par les fenêtres ouvertes d'appartements trop chers pour le commun des mortels se déversent dans la rue les voix et la musique d'adolescents en boum, je me dis que Paris leur appartient, et pas à moi. Paris appartient aux cadres carriéristes et aux familles de jeunes entrepreneurs, au professeurs de la Sorbonne, aux étudiants pour qui ça a encore du sens de se recroqueviller dans une chambre de bonne, en l'attente du lumineux avenir que leur grande école leur promet. Paris est cruel si tu n'es pas à sa hauteur, Paris n'a pas de compassion, Paris s'en fiche de ceux qui s'en sortent tant bien que mal. Paris est à ces merveilleuses filles du métro, aux épaules menues et les cheveux doux, qui ont un job haut de gamme et qui ont l'air de ne jamais bosser. Elles sont habillées à la parisienne avec des sacs en bandoulière et le rouge à lèvres à la parisienne. Je n'en fais partie.


Qu'est-ce que je partage avec Paris? Je n'y habite même pas, techniquement. Dans la vraie vie, Paris serait cette tante qui à Noël fait des remarques lorsque tu te sers une deuxième cuillère de tiramisù, et qui préférerait qu'on aide les immigrés chez eux au lieu de les faire venir jusqu'ici. Paris est raciste, en tout cas en dessous de 3000 euros par mois.


Et pourtant, moi Paris me soigne. C'est la première fois qu'il me suffit d'une ville pour alléger mon âme quand elle s'assombrit, une ville qui n'est pas à des milliers de kilomètres de chez moi. Paris c'est les vacances, le voyage en l'espace d'une après-midi de libre, c'est la beauté à porté de pieds, c'est la poésie à quinze minutes de métro. Dès que je peux, je lui donne un rendez-vous rien que nous deux. Peut-être que je sors avec Paris. Appelez-ça syndrome de Stockholm si vous voulez.


Quand on me demande pourquoi je l'ai choisi, je réponds toujours que l'idée de pouvoir me lever un matin et, sur le coup d'un désir sans préméditation, pouvoir me rendre au plus beau musée du monde qui est Orsay, me suffit. Bon, ce n'est pas comme ça que ça se passe, on est d'accord que la spontanéité n'a pas trop sa place dans les visites culturelles ici. Vaut toujours mieux réserver à l'avance. J'ai tenté ce mardi matin, avec une entrée planifiée à 10h30. Je me voyais déjà me promener presque seule parmi les Renoir et les Monet dans un silence irréel, fière d'avoir battu en vitesse les hordes de touristes. Pauvre rêveuse, la file bouchonnait dès l'ouverture sur l'esplanade et, une demie-heure plus tard, une foule indisciplinée déjeunait déjà sur l'herbe, heureusement sans s'être déshabillés.


Je crois que moi et Paris on ne se connait pas encore assez. Je n'ai pas encore trouvé la manière d'apprivoiser ce farouche, de l'obliger à m'avouer que, finalement, sous les ors et les façades haussmanniennes, nous nous ressemblons profondément. Qu'on aime tous les deux les belles choses et se faire plaisir avec, que tous les deux on se croit des ovnis coupés du monde mais qu'au final on ne recherche que des soirées à la bonne franquette; que nos racines à tous les deux plongent dans des idéaux de justice sociale malgré nos têtes embrouillées par les horreurs du système. Si c'est ici que mon métier est né, tout le chemin fait jusqu'à ce jour ne pouvait que m'y conduire. J'ai encore des choses à faire à Paris.



 
 
 

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