Premiers pas à Dakar_
- Alice
- Nov 6, 2018
- 4 min read
Dakar. Ce nom résonne dans mes oreilles depuis que j'étais toute petite, couplé avec celui de la capitale française, grâce à la désormais démodée Paris-Dakar. Fille d'un pilote amateur de rally, cette course automobile était dans mon imaginaire rien de moins que mythique. Je regardais à la télé toute sorte de véhicules sillonner le désert et je me vois encore demander à mon père: "Pourquoi ça s'appelle Paris-Dakar?", n'ayant aucune idée de ce que Dakar pouvait être. Une fois compris qu'il s'agissait d'un lieu, dans mon rêve d'enfant il devint un village minuscule perdu dans les dunes, envahi par les voitures de course.
J'ai décidé de commencer ma visite par le centre ville. Avant de sortir j'essaie de me faire une idée de ce qu'il y a à voir: je lis le guide, je fouille quelque site internet. Je télécharge deux plans pour une balade à pied de deux ou trois heures, je ne sais pas ce que ça vaut mais un peu d'organisation ne peut pas nuire dans cette métropole incommensurable à l'urbanisme indiscipliné. Enfin une grande ville! Enfin des rues pour se balader! Enfin des immeubles, des places, des marchés! Oui, ça va être chaotique, bondé, chaud, bruyant, mais moi je suis toute excitée. Bien sûr la douche chaude et le canapé séducteur de l'appartement où nous logeons ont contribué au pic de moral de ce matin, mais les grandes villes m'ont toujours plu quand même.
Ça ne prend qu'une quarantaine de minutes pour rejoindre place de l'Indépendance, le nombril du centre, en taxi. Cela se révélera être une exception, pas tellement à cause du trafic épais de la capitale mais plutôt car aucun chauffeur semble réellement connaître la ville, où même se préoccuper de faire attention à mes indications ("Monsieur nous avons dépassé la sortie!" "Ah c'était au cimetière musulman! Vous m'avez pas dit!" "Bien sûr que je vous ai dit..." "Ah, j'ai compris le centre islamique...". Google Maps nous sauvera la course maintes fois). Je commence à me promener aux alentours de cette grande place rectangulaire bordée de façades assez anonymes. La fontaine aux lions représentant le Senegal a dû être un mirage du rédacteur du Routard. Un monsieur avec un sac à main en cuir comme celui des profs me dit bonjour. "Oumar, enchanté. Je suis prof de math! Ma soeur vit à Milan. À Dakar il y a seulement deux choses à voir, l'île de Gorée et la galerie où on vend les wax, les tissus d'ici. Le reste, c'est moche!". Ce n'est pas très encourageant comme début mais je poursuis mon exploration, certaine de le démentir.
Je passe devant la Galerie Nationale d'Art qui a l'air d'un garage fermé, le marché Kermel, à la jolie toiture en fer forgé sous laquelle les échoppes étonnamment ordonnés sont disposés en cercles concentriques, le Palais Présidentiel qu'on ne peut pas photographier. La première surprise arrive dans la Cathédrale: sous la voûte de l'abside un évêque pragmatique a dû penser qu'un diagramme arborescent ferait bien mieux l'affaire qu'une fresque aux allégories méconnues. Dans les milliers d'églises que j'ai dû visiter dans ma vie je n'ai jamais vu ça: je trouve l'idée audace et naïve, et ça me fait beaucoup rigoler.
Après la visite du petit Musée de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire, où on me fait payer un tiers du prix de l'entrée car le gardien n'a pas de change, l'étape suivante est le marché Sandaga, le plus grand de Dakar. Ça me rappelle, entre autres, le marché de La Paz en Bolivie: tellement étendu que pour devenir une ville dans la ville, avec ses propres règles et ses quartiers. On y vend tout l'imaginable et plus encore, à des prix tout aussi irréels.
On est vendredi et c'est l'heure de la prière pour les musulmans. Par ici et par là des personnes commencent à dérouler leur tapis et dans l'air commence à se répandre la voix chantante du muezzin. Je tourne en Rue de Valmy et tout d'un coup ce sont des centaines d'hommes qui prient collés les uns aux autres, agenouillés sur tout ce qui peut faire l'affaire: serviettes, cartons, sacs de riz. Il sont disposés face à ce qui a été collectivement estimé comme la direction de La Mecque et ils écoutent les prières, avec ferveur variable, il faut avouer. On peut à peine marcher entre les murs et les genoux de ceux qui sont en première ligne. Puis la voix dans les hauts parleurs se tait d'un coup: personne ne dit un mot, dans l'immobilité générale le silence s'empare du marché, l'espace d'une dizaine de secondes de pur surréalisme.
Je poursuis vers la Grande Mosquée, je passe par un carrefour tellement engorgé que je dois enlever mon sac à dos pour pouvoir sortir de la foule. Ici les chants du muezzin se mêlent aux annonces des offres du jour des marchands, criées elles aussi par des hauts parleur. À force de pousser et d'esquiver des mobilettes je gagne l'avenue de la mosquée, là où on peut à nouveau respirer.
Plus loin, presque au bord de la mer, se dresse une autre mosquée très grande, celle nommée Cheikh Oumar Foutiyou Tall. Hors des murs d'enceinte les femmes vendent des fruits ou se limitent à mendier; dedans les hommes s'empressent de trouver une place pour leur tapis dans le parking rempli. Je m'arrête pour observer un moment, un moment trop long pour l'agent de sécurité qui garde un des portails. "Vous faites quoi?" il me demande soupçonneux. "Je regarde." "Vous regardez? Vous allez prier?" "Non!" "Pourquoi non?" "Car je ne crois pas en Dieu." "...". C'est la conversation plus courte que j'ai eu avec un sénégalais depuis le début du voyage.
J'atteins enfin la Route de la Corniche O, qui longe le bord de mer ouest de la péninsule de Dakar. Le panorama est superbe, on voit les falaises à gauche, les îles de la Madeleine au milieu, qui baignent dans le turquoise absolu de l'océan, la Porte du 3ème Millenaire à droite, un monument vaguement futuriste aux ambitions symbolistes sans doute plus réussies dans l'imagination de son auteur qu'en réalité. En bas, sur la plage, un groupe de garçons se bat avec les chèvres pour leur donner un bain.
Je m'assieds pour admirer cette vue avec calme. Je repense aux mots du prof ce matin: il a raison, il n'y a rien de spécial à voir à Dakar. Mais il y a une infinité de choses à observer et, en tout cas, moi je n'arrête pas de prendre des photos depuis ce matin.
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