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Quitter ce ciel_

  • Writer: Alice
    Alice
  • Aug 13, 2020
  • 3 min read

Je suis allongée dans le désert près de Mesr, petit village près de l'oasis de Garmeh, qu'on a vu sans savoir que c'était Garmeh car le chauffeur ne nous a rien dit. Il nous a emmenées baigner nos pieds dans la grotte où la source d'eau qui a créé l'oasis jaillit, et puis dans le bois où palmiers et grenades et oliviers semblent se plier sous le poids de leurs fruits, et qui a tout du jardin d'Eden. On a cueilli les dattes et on les a mangés, elles étaient séduisantes, sucrées, si la pomme d'Eve avait été pareil je comprendrais le péché originel.


Je suis allongée dans le désert et il fait de plus en plus noir, les étoiles s'allument une à une au dessus de moi, le sable doux est encore brulant, il réchauffe mon dos et mes lombes, j'ai du sable jusqu'à la moelle mais je m'en fous, je m'en fous grave, je brûle avec lui et c'est comme si j'avais toujours été allongée ici et comme si j'allais y rester à jamais, c'est un moment éternel. Il y a de l'angoisse et de la joie, il y a du calme et des frissons, il y a rien et il y a tout, et ce ne serait pas ça le bonheur au bout du compte, être en lien avec l'immensité, et si en plus dans cette immensité on peut y voir la voie lactée, ça doit forcément être ça le bonheur.


Je suis allongée dans le désert et on n'entend que le vent souffler dans les oreilles, silence, silence saturé, dans ma tête je rejoue les images des amis iraniens qu'hier soir nous ont emmenées dans une rue déserte pour mettre la musique à la radio et danser, danser comme des fous, mais il fallait s'arrêter quand une voiture passait et faire semblant de rien parce que c'est le Muharram, le deuil, et on ne peut pas faire la fête et que si quelqu'un nous voit et se vexe il pourrait appeler la police et ce ne serait pas drôle pour personne.


Je suis allongée dans le désert et comment vais-je faire pour quitter ce ciel, ça doit être ça qui a inspiré les coupoles des mosquées belles à couper le souffle. Je me demande qu'est-ce qui a fait que je tombe amoureuse de ce Pays aussi vite, autrefois j'aurais dit un regard d'yeux noisette mais ce serait seulement une jolie histoire à raconter. Serait-ce les couleurs, mais finalement tout est vert-noir-jaune et j'ai vu mieux. Les gens, oui, ils sont chaleureux comme peux, mais ailleurs aussi et puis ils n'ont pas tous été aimables comme on aurait espéré.


Serait-ce alors cette envie de vivre qu'on respire, cette liberté qu'on va chercher dans toutes les failles du système, ce pneuma qui pulse sous le manteau de la dictature? Une dictature qu'on ne voit pas, qu'il faut se laisser raconter par les gens d'ici, une dictature subdole comme ce hijab qu'on peut porter léger et tombant, découvrant la chevelure, mais qui peut coûter la prison si on ose l'enlever, ce hijab qu'on enlève dès qu'on peut, en voiture sur l'autoroute ou ce soir au milieu du désert, que les hommes t'incitent à enlever pleins d'empathie.


Donc oui, c'est ça qui fait vibrer l'Iran à mes yeux, une résistance silencieuse et acharnée aux interdits idiots du gouvernement, gouvernement qui ne veut pas qu'on promène un chien en laisse mais prétend te dire ce qu'il faut ressentir deux fois par an. Ça vibre, ça vibre, et un jour je voudrais voir les fêlures craquer et ces gens retourner danser et déconner dans la rue, et Dieu avec.



 
 
 

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