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Ressasser_

  • Writer: Alice
    Alice
  • Aug 14, 2024
  • 4 min read

La lutte à coups de temps d'exposition contre les ombres sans fond et la lumière aveuglante de ce Pays continue. Match du jour: Registan contre Nikon D300. Je me suis levée tôt, avant 9h j'étais sur la place, mais l'avantage sur le soleil a vite été rattrapé, pour ne pas parler de celui sur les troupeaux de touristes. Peu importe, j'ai déjà décidé d'y revenir en fin d'après-midi.


Je passe le reste de la journée en visitant des sites mineurs, d'intérêt franchement assez limité. C'est peut-être pour ça que les préoccupations pour la suite du voyage reviennent. Bien sûr, j'ai tout fait pour repousser la décision le plus loin possible, donc j'ai réservé un train pour Tashkent le 30 et un train pour Termez le 29 au soir, de toutes façons Uz Railways permet de rembourser les tickets sans frais. Mais la dernière option, censée être la plus spectaculaire au vu de la distance et de l'absence quasi totale de touristes là-bas, continue à ne pas me convaincre. Ai-je vraiment envie de passer une nuit dans le train et une sur place, et attraper un vol sur un Boeing 757 (modèle dont la production s'est arrêtée il y a 20 ans à peu près) à 23h30 du soir pour des visites qui vont prendre au plus long une demi-journée? Certes, l'expérience ne s'arrêterait pas à ça, mais le délire d'être une fois de plus au bout du monde en vaut-il la peine?

En cherchant des alternatives à ce détour je me sens, bien évidemment, lâche et paresseuse. Mais le fait est que je n'ai pas envie de partir de Samarcande déjà demain soir; j'ai attendu une vie d'être ici et, au net des goûts et des couleurs, je sens que ce serait injuste d'expédier le départ. Demain j'irai à Shakhrisabz, puis en rentrant j'ai envie de revoir Shah-i-Zinda. L'idée de faire tout ça avec le stress d'un train à minuit m'angoisse. Reporter le départ au jour suivant est impossible, le train pour Termez est complet.


Le problème est qu'il n'est pas le seul. En simulant d'autres combinaisons je réalise que l'Ouzbékistan entier va se déplacer ce week-end, et à raison car mardi c'est la fête de l'Indépendance. L'angoisse augmente, rien d'autre semble envisageable qu'aller à Termez et seulement ensuite à Fergana, l'inverse est impossible faute de trains et d'avions. Je me sens coincée, je vais devoir y aller, et demain. Ou alors il faudra passer trois jours à Tashkent sans trop savoir quoi faire, et là ça va être THE défaite ultime pour Le Voyageur qui ne revient jamais sur ses pas. J'échange plusieurs textos avec un guide local avec qui je suis rentrée en contact via Facebook, il me donne plein de conseils mais pas d'avis. C'est le moment où je percute, comme s'il s'agissait d'une nouveauté, que personne ne peut choisir à ma place.


Je ressasse toutes ces pensées encore et encore, assise en face du Registan. Ça ne sert à rien que j'entre tout de suite, je serais incapable de voir quoi que ce soit. C'est la jeune fille au hijab blanc assise à côté de moi qui vient à mon secours. "Hi - elle me lance - where are you from?". Démarre une conversation plus que plaisante, elle a un anglais impeccable et surtout elle me comprend quand j'aligne plus de trois mots de suite. Elle rêve de venir étudier en Italie, elle me demande ce qu'il faut comme certifications. Je suis évidemment incapable de lui répondre, mais elle a plein d'autres questions en poche. Nassira (nous l'appellerons, car son prénom très ouzbèke m'a échappé) a dix-neuf ans, elle voudrait partir à l'étranger pour des études de médecine, à New York si ce n'est pas l'Italie. Elle est fille unique, elle le regrette. Elle n'a pas le droit de sortir sans un membre de sa famille, plutôt femme si possible. Elle s'étonne que je sois seule et sans enfants. "Mais seule c'est pas ennuyeux?" elle me demande. Eh oui, Nassira, bien sûr que ça l'est, parfois. Si je pouvais t'expliquer que les choses ne sont jamais toutes noires ou toutes blanches. Sachant que je travaille à l'hôpital, elle a décidée que je suis médecin. Apparemment, thérapeute ou médecin, ici ce sont tous des docteurs.

Nous finissons par entrer au Registan ensemble, elle veut m'expliquer ce qu'elle sait de sa ville, et des objets qui sont exposés dans les madrassas. Elle s'excuse de ne pas en savoir plus. Je lui dis qu'elle s'en sort parfaitement, et ça lui fait vraiment plaisir. "Parfois je doute de moi-même. Et toi, ça t'arrive aussi?". Ma belle Nassira, si tu savais...

Nos chemins se séparent au coucher du soleil. Quelle fraîcheur chez cette jeune fille. Je lui souhaite de partir bientôt où elle en rêve, et de trouver son chemin. Elle ne le sait pas mais elle m'a sauvé la soirée: au diable les ruminations, ce n'est pas à moi, cette fois, d'aller une fois de plus au bout du monde. Je resterai ici demain soir, pour voir encore et encore Samarcande, puis j'irai à Tashkent. Deux jours ne changeront rien au voyage, et en plus passer la fête nationale dans la capitale est susceptible d'offrir des belles perles de surréalisme, si j'ai compris quelque chose à ce Pays. Je réserverai les trains ce soir, et je serai à nouveau sur les rails.


La journée s'achève avec un cadeau inattendu. Il fait déjà nuit quand un genre de guide touristique vient voir les hommes assis près de moi. Comme il proposerait de la drogue, il leur propose l'ascension d'un des minarets pour 55.000 soums supplémentaires, de manière totalement, illégalement autorisée. Il ne doit pas le proposer à tout le monde, pour une fois je suis au bon endroit au bon moment. Je me joins au groupe et une vingtaine de minutes après je suis sur le sommet. Où, clairement, j'ai une peur bleue car c'est haut, noir, étroit et moi je ne suis pas censée être là. Une photo et je redescends.


Quelle belle journée derrière moi, et toutes celles qui vont encore arriver.



 
 
 

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