Soif_
- Alice
- Sep 14, 2020
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"...lorsque les agents de santé publique soupçonnent la présence d'une maladie contagieuse à bord d'un vol..." Je n'ai pas encore décidé si j'apprécie la périphrase à la J.K. Rowling ou si je suis plus énervée par l'hypocrisie. Comme si personne ne se doutait qu'on parle de cette fichue Covid - et ça, perpétuellement depuis six mois maintenant. En fin de compte, je crois qu'une telle délicatesse me fait rigoler plus que tout.
Donc les autorités de santé publique, pour se donner toutes les chances de bien veiller sur nous, demandent à qu'on remplisse dans l'avion encore ce morceau de papier, comme si AirFrance ne possédait pas déjà toutes ces données, le numéro du vol, du siège, le courriel, le numéro de téléphone, le domicile, le contact en cas d'urgence. Bref, au moins ça donne un petit shot d'adrénaline, on se croit au départ pour un voyage exotique sur un vol intercontinental, en ce précis instant où le doute s'installe parce que tu n'es jamais vraiment sûr d'avoir toutes les cartes en ordre pour passer la douane, et en plus on te demande si tu as déjà commis des actes terroristes et au fond de toi tu sais bien que tu y as déjà pensé au moins une fois, et t'as l'impression de mentir un peu en cochant la case "non".
Ça dure le temps d'un soupir, le temps de réaliser que la couche blanche en dessous de toi n'est pas la neige des Andes mais la grisaille parisienne. Et je repense à la dernière fois que j'ai fait ce trajet dans ce sens, et on dirait hier et il y a cent ans, on dirait l'énième et la seule fois, et j'étais un peu plus heureuse et un peu moins seule et un peu moins solide et un peu plus intolérante. Je ne portais pas ce masque sur la tronche mais je n'étais pas plus satisfaite de cette tronche même. J'essaie, assise sur ce RER qui traverse le néant, de retrouver la poésie autour de moi, pour la renverser dans ce que je raconte, comme avant, comme quand j'étais capable de la raconter. Il y a encore six mois j'aurais eu du mal à m'arrêter, j'aurais écrit des mots et encore des mots, mes doigts auraient brûlé d'envie et du trop taper, j'aurais généreusement partagé mon point de vue unique et décalé sur ce monde à première vue trop bien rangé pour qu'on s'en étonne et pourtant plongé dans cette dystopie trop réelle.
J'essaie et ça ne vient pas, ça ne vient plus, je n'ai rien à raconter car je ne suis plus capable d'observer. Mon regard a changé, vieilli pendant ces mois de lockdown, stay home, garde tes mains en poche et touche pas. Mon regard ne fait désormais plus que balayer ce qui m'entoure, il a oublié comment le lire. Il a appris à ne pas se laisser toucher. Je ne vois plus de sens, je ne sens plus le goût. Remarque, si ça tombe j'ai attrapé la Covid, mais des yeux.
Ou j'ai juste soif de vivre comme j'en ai envie.

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