Sur la plage à Kafountine_
- Alice
- Nov 6, 2018
- 3 min read
Je remonte l'axe principale de Kafountine jusqu'au carrefour central, autour duquel s'alignent les échoppes du marché. Il y a du mouvement, du monde assez occupé, des artisans, des acheteurs, des moto-taxis qui attendent les clients au coin de la rue, entre le revendeur de cartes téléphoniques et le magasin de sandales en plastique. La somnolence d'Abéné n'est qu'à 10 km, mais elle paraît lointaine des années lumière.
Personne ne fait réellement attention à moi. On m'appelle, oui, mais il suffit de répondre d'un geste ou d'ignorer ceux qui, avec leurs rires moqueurs, insistent de trop, pour pouvoir continuer ma promenade tranquillement. C'est confortable, cette semi-invisibilité. Je ne résiste pas et je plonge à droite dans les rues secondaires, où les activités commerciales se diluent peu à peu dans les quartiers résidentiels.
Les rues sont larges et parfois bordées de sacs de sable, dans la tentative, je devine, de contenir la faim de terre des pluies torrentielles de l'hivernage. Les habitations s'alternent avec les champs cultivés et la végétation exubérante. Je m'arrête près d'un groupe de maisons disposées autour d'une cour où sèchent au vent plusieurs rangées de vêtements colorés, entre lesquelles des enfants jouent, rigolent et pleurent. Quand ils s'aperçoivent de ma présence ils s'interrompent et viennent me voir. Un des plus jeunes, qui ne parle pas un mot de français, me fait comprendre qu'il veut que je prenne une photo de lui. Attendrie, sans être sûre qu'il puisse entendre, je lui réponds que je ne peux pas, que maman ou papa ne seront peut être pas d'accord. Je vois dans son regard qu'il réfléchit, puis il va chercher un garçon plus âgé (frère? cousin? oncle, qui sait! La géographie des parentés ici est souvent complexe, c'est la "famille élastique", ils disent). Il reviennent ensemble: "Il veut que tu prennes une photo de lui". Le résultat semble l'amuser, ses copains aussi. Ils s'en vont en sautillant.
Je retourne à la plage, certes la plus belle de ce voyage. En journée avec la chaleur elle est désertée par les villageois, mais à cette heure où le coucher du soleil approche les jeunes se donnent rendez-vous ici. Les garçons viennent faire du sport pendant que les filles conversent sous les parasols en paille. Un grand monsieur avec un bonnet en laine surveille des ados qui s'entraînent à ce qui ressemble à du saut en hauteur au dessus d'une corde tendue entre deux poteaux. Pas loin un groupe pratique la lutte serere, un des sport nationaux. Deux à deux, l'un en face de l'autre, les pieds bien ancrés dans le sable, ils tendent un bras à la fois vers l'adversaire, les mains grand ouvertes, et se repoussent tels des félins qui jouent. Puis soudainement l'un des deux ressent que le moment est propice, plonge la tête et attrape le cou, la taille ou le genou de l'autre. Commence alors le vrai combat visant à plaquer l'adversaire au sol. Je les regarde longuement, fascinée par la grâce inattendue de ce spectacle. Au bord de l'eau se joue un match de foot sans buts.
Il est presque 19h et la plage commence à se vider. Les filles appellent les petits frères, les jeunes hommes quittent la plage en groupe. Bientôt tout ce qui restera ici seront les pirogues des pêcheurs, coiffées des leurs immenses filets verts. Elles se laissent bercer par les vagues, ces fidèles corsiers qui se reposent, par ces mêmes vagues qui les ont épuisées durant la longue sortie en mer. Elles attendent sans hâte l'aube du nouveau jour, encore un jour là dehors, égale aux autres et différent, et si l'un ou l'autre dieu le veut, bénit d'un meilleur sort.
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