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Una mujer_

  • Writer: Alice
    Alice
  • Nov 6, 2018
  • 3 min read

Août 2016, Potosí (Bolivia).


Je me balade dans les rues de la vieille ville, en solitude, comme d'habitude je me perds sur le fil de ma curiosité. Une fresque dans une ruelle attire mon regard, je tourne à droite. C'est la façade d'une maison où on lit « Galeria de arte ». Je m'arrête pour observer les dessins. Il y a un homme au balcon qui me sourit, il a les cheveux blancs, la peau mate et un regard noir, vibrant. Je suis sur le point de me remettre en marche quand il crie : « Eh, toi, d'où viens-tu ? Viens, entre, nous avons une galerie d'art ». J'hésite un dixième de seconde, mais je n'ai aucun sentiment de danger. Je hoche la tête et il descend ouvrir la porte, puis il me guide à l'étage. « Je m'appelle Carlos, je suis peintre. Je t'en prie, vas visiter la galerie ! Il y a même une école ici. Je te sers du café ». Il m'est vite clair que toutes les œuvres appartiennent au même auteur et, à juger des dessins entamés sur la table de travail, il s'agit de mon hôte.


Dans le studio il y a une jeune fille assise à une table qui enfile des cartons dans des pochettes en plastique. Je lui donne quinze ou seize ans mais qui sait, ici au dessus des quatre-mil mètres il y a si peu d’oxygène que les gens semblent ne jamais vieillir. J'en déduis qu'elle est une élève de l'école.


Carlos me sert une tasse de café instantané, je m'installe sur un matelas près de sa table où il reprend son travail. « Tiens, tu peux m'aider à colorier les ombres sur ce dessin ». J'ai peur de l'abîmer mais je m'y mets quand même. Nous discutons de mes voyages, de la Bolivie, de l'Europe, de ses tableaux. Il continue à sourire, il fait comme si tout ce que je dis le fascinait, il me traite comme une vieille amie, mais ça ne me surprend plus après un mois et demi en Amérique latine. La jeune fille est sortie, il lui a demandé d'aller acheter du matériel. Elle revient au bout de quelques dizaines de minutes.


Carlos regarde ma feuille, il a l'air déçu des ombres qui ne sont pas à la bonne place et moi j'ai un peu honte. Il soupire, puis il annonce que nous allons passer en cuisine pour prendre un goûter.

La jeune fille nous sert encore du café, elle emmène du fromage, du pain et du dulce de leche. Elle se meut dans la cuisine avec aisance, elle connait la maison. Elle vient enfin s'asseoir avec nous. Carlos parle de sa famille, des contacts qu'il n'a plus avec ses frères et soeurs, de la femme qu'il a quittée, ou qui l'a quitté. Il parle du déjeuner du jour suivant, de l'heure à laquelle la jeune fille doit l'emmener. Il y a quelque chose d'étrange, de déplacé dans sa manière d’interagir avec elle : il lui est trop proche, il la regarde trop intensément. Ils discutent d'un portrait qu'il veut lui faire où elle sera une sorte de déesse de la fertilité, avec des épis de quinoa dans les cheveux ; il frissonne, je m'attends à qu'il la saisisse d'un moment à l'autre. Je n'existe plus.


Puis d'un coup il s'adresse à moi de nouveau. Il parle d'elle : « Esta es una mujer... » « Elle n'est pas une femme ! » je réponds, dérangée. « Elle est une enfant ! » « Non, c'est une femme. À son âge elle a déjà vécu des choses que d'autres femmes plus âgées ne vivront jamais. Elle va rentrer à l'université en janvier ».


La fille s'apprête à partir, je décide d'aller avec elle. Une fois dehors elle me dit qu'elle veut s'inscrire à Médecine. Avant de la quitter je lui demande si elle vit avec Carlos. « Non, non, j'y travaille seulement. » « Et avec qui vis-tu ? » « Avec mon copain. Ça fait un an. » « Avez-vous des enfants ? » « Enfants...? J'en avais. Oui, j'en avais. »


 
 
 

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