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Vers la Casamance_

  • Writer: Alice
    Alice
  • Nov 6, 2018
  • 6 min read

Updated: Aug 13, 2020

Huit heures moins quart, nous sommes prêts à quitter le campement de Ndangane. Aujourd'hui nous allons essayer de rejoindre Ziguinchor, en Casamance, la région du Sénégal qui se trouve au delà de la Gambie. La distance est raisonnable, 450 km, mais les deux frontières à passer et la fleuve à traverser en ferry peuvent rallonger le trajet jusqu'à l'inimaginable: certains témoignages sur le net parlent de 27 heures, avec une nuit à l'arrêt sur la route selon l'imprévu du cas. On essaie de s'y prendre tôt, nous savons que le trajet sera chaud et inconfortable, nous sommes prêts au pire mais ne croyons pas vraiment que ça va nous arriver. Voyager est un acte de confiance totale parfois.


Nous decidons de chercher un taxi privé pour aller jusqu'à Kaolack, où des "sept places" relient la Casamance directement. Il est très tôt pour ce village qui somnole encore, on se demande si nous allons rencontrer une voiture. Cinq minutes après nous réussissons à en arrêter une: elle sort toute droite des années '80, mais après une semaine en Afrique elle nous semble flambante neuve. Le chauffeur refuse d'abord le prix qu'on lui propose, il redémarre, puis il revient et accepte après une brève négociation sans conviction. La superstition ici veut que, si l'affaire avec le premier client de la journée n'est pas conclus, tout les autres seront mauvais, et cette fois elle joue en notre faveur.


On saute dans la voiture, excités. Ça commence bien: Mamadou est bien moins bavard que d'autres chauffeurs que j'ai rencontré, mais sa conduite est rapide et prudente. De ce pas on sera à Kaolack avant dix heures et vite en route pour Ziguinchor.

Sauf que le Sénégal est parsemé de postes de contrôle. À 40 km de Kaolack un officier en moto nous arrête: Mamadou lui donne ses papiers, le policier les regarde, puis ils s'en vont tous les deux vers la petite baraque qui sert de bureau, le tout dans un silence parfaitement tendu. Il ne nous reste qu'attendre. Et attendre. Et attendre.

Après une demi-heure je décide d'aller demander qu'est-ce qu'il se passe. Le policier m'explique que la voiture n'est pas en règle avec le contrôle technique et qu'ils vont "l'immobiliser". "Il ne va pas pouvoir redémarrer donc?" "Ah non, surtout pas!". Je fais signe à Marc et Hélène qui sortent les sacs du coffre, il nous faudra chercher un autre taxi. Mais Mamadou me suit vers la voiture et nous assure que tout est réglé. Il retourne chez le policier, reprend ses papiers, revient et se remet au volant. À 10h40 nous sommes à la gare de Kaolack.


Avant que la voiture s'arrête un monsieur qui doit faire la taille d'une petite girafe passe son cou à travers ma fenêtre ouverte et nous demande notre destination. Dès que nous descendons il ouvre le coffre et charge nos sacs sur ses épaules; nous le suivons, mais ce n'est pas comme si on avait le choix.


Vingt-deux minutes après nous roulons vers Ziguinchor, emboîtés sur le siège du fond d'une Peugeot sept places qui montre avec l'orgueil d'une vieille révolutionnaire ses blessures de guerre. Les passagers devant nous sont un élégant couple de Dakar en habits de fête et un jeune homme un peu grognon qui malgré nos prières gardera la fenêtre fermée presque tout le voyage (ce qui fera monter le pourcentage de CO2 sur notre siège arrière dangereusement au dessus des limites légales). Le chauffeur et le passager à sa droite sont beaucoup trop loin pour pouvoir même les repérer. Sur le toit nous transportons une centaine de kilos de légumes entre onions, petits onions, aubergines, poivrons, carottes et bottes de salade.


La route entre Kaolack et Farafenni, à la frontière avec la Gambie, est une piste goudronnée en parfait état. Nous arrivons à la douane en à peine une heure et demie, et c'est déjà assez pour sentir le besoin de sortir de la voiture et dégourdir les jambes. Au contrôle des passeports du côté sénégalais l'officier me demande ma profession. J'estime qu'essayer d'expliquer un métier aussi méconnu que le psychomotricien en ce moment pourrait être un choya audacieux et j'opte pour un plus universel professeur de sport. "Vous êtes sportive?" "Mmmouais..." "Ça se voit!" il répond en éclatant de rire. Mon image du corps en prend un coup amer.


Du côté de la Gambie il y a beaucoup moins de formalités car on ne fait que traverser le Pays. Ce qui semble le plus intéresser l'officier est de me faire comprendre que je dois débourser les 5000 francs de droit de passage avant qu'il ne mette le timbre sur mon passeport. L'adrénaline est garantie, cette fois, par le gendarme qui me voit prendre une photo de la pancarte cassée devant le poste de contrôle, qui annonce avec grandeur hollywoodienne "The Gambia". Il me pointe du doigt, il me fait signe de m'approcher, il prend mon téléphone et le passe à son collègue qui le garde dans ses mains pendant que j'efface la photo sous son regard impénétrable. Après quoi il me rend l'appareil en me disant avec une voix tout aussi inexpressive: "It's forbidden". Je réponds qu'ils auraient pu le signaler avec une pancarte.


Arrivés près de l'embarcadère du ferry, vers 13h30, nous nous réjouissons de voir que le nombre de véhicules en file est encore raisonnable. Nous sommes dans la colonne de gauche, tandis que la ligne de droite est réservée aux véhicules lourds. Il y a deux bus qui attendent, avec une quantité ultraterraine de marchandises et de bagages accrochés sur les toits. Sur l'un des deux quelqu'un a attaché une chèvre, vivante, enveloppée dans un sac de riz. Nous allons souvent penser à elle pendant l'après-midi.


Comme partout, et en particulier dans ces lieux où les gens sont coincés pour une raison ou pour l'autre, il y a une armée de vendeurs ambulants. Certains sont très jeunes et, plus qu'essayer de vendre quelque chose, ils semblent espérer recevoir des cadeaux. Nous semblons être les seuls toubabs dans le coin et ils viennent tous tenter leur chance. Un groupe de jeunes filles se forme autour de moi et Hélène, elles sont cinq et belles comme des mannequins. Aram, la plus jeune, doit avoir onze ans, Mariam, la plus âgée, en a quinze. Elle ne vont pas nous abandonner jusqu'au moment où nous montons dans le bateau. Certes, elles essayent de nous convaincre à acheter, mais je ressens aussi beaucoup de curiosité innocente et féminine chez ces ados qui semblent avoir déjà trop connu de la vie. Elles nous regardent, nous touchent, elles se mettent à faire des tresses dans nos cheveux. Elles nous posent des questions. À Hélène, qui leur a dit d'être mariée, elles demandent si son mari la bat. "Bien sûr que non!" "Comment ça, ce n'est pas bien! Il n'est pas fort ton homme?".


À 16h nous reprenons la route de l'autre côté de la fleuve. Il ne reste plus qu'à passer la douane pour quitter la Gambie et rentrer à nouveau au Sénégal. Les officiers gambiens ouvrent les passeports et en souriant nous demandent encore 7000 francs pour timbrer la sortie. Nous savons que le droit de passage est déjà payé et que cet argent finira dans les poches des timbreurs, mais on nous a avertis qu'il vaut mieux faire preuve d'amabilité, évitant de discuter. Un des officiers encore plus souriant que les autres s'intéresse à l'étrange composition de notre ménage, deux femmes et un seul homme: il veut savoir qui est "ami" de qui. Comprise la situation il me demande si je peux être son amie et va chercher un bout de papier pour que je lui laisse mon adresse mail, "pour si jamais tu repasses par ici au moins je te fais visiter la Gambie. Quoi, tu ne veux pas être mon amie? Moi je veux être ton ami!". Je refuse gentiment, mais son enthousiasme nous vaut quand même une réduction de 2000 francs chacun sur le pot de vin.


Le plus compliqué est derrière nous, il n'y a que 120 km sur une route en mauvais état entre nous et Ziguinchor. Le paysage a changé complètement, nous roulons dans une végétation exubérante qui laisse parfois la place à des champs de riz brillant sous le soleil. Des nids de termites géants se dressent partout dans les champs et sont sans aucun doute la vision la plus étonnante de ce dernier bout de voyage.


Nous montrons une énième fois nos passeports à un poste de contrôle, nous nous arrêtons dans une ville à une trentaine de kilomètres du but pour décharger le garçon grognon et ses tonnes de légumes perchés sur nos têtes, et finalement, vers 19h, nous posons nos pieds sur terre à la gare de Ziguinchor.


Il ne nous aura prix qu'onze heures pour arriver, c'est une performance digne de tout respect même si nous sommes en piteux état. Le couple de Dakar par contre semble sorti en ce moment de chez eux: ils sentent encore bon et leurs vêtements en technicolor ne font pas un pli.


Sales et dégoulinants de sueur, mais heureux d'avoir pu atteindre notre objectif, nous nous trainons vers une auberge dans le centre ville qui est économique et complète. Nous nous rabattons sur un hôtel un peu excentré et plus cher, mais ce n'est pas le genre de soirées ou on peut se permettre d'être exigeants. Les chambres sont spacieuses et propres, elles donnent sur le jardin interne. Derrière c'est la forêt et dehors, ce soir, il fait noir comme en Afrique.



 
 
 

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