Vers le Saloum_
- Alice
- Nov 6, 2018
- 3 min read
Il est temps de quitter la famille pour plonger vers le sud, dans la région du Delta du Saloum dont tous ici chantent les louanges. J'ai hâte de découvrir plus du Sénégal, mais c'est reparti pour un tour sur la montagne russe des émotions qui est ce voyage.
Il faut appeler les choses avec leur nom: peur. J'ai peur de quitter le port sûre, j'ai peur d'être trop seule, j'ai peur de trop dépenser, j'ai peur de ne pas voir assez. J'ouvre Skyscanner, il y a des vols à prix correcte pour rentrer en Belgique d'ici deux ou trois jours, peut être qu'il le faut, peut être que partir a été un mauvais choix. Je pense à ce que j'ai quitté, aux choses que j'ai laissées inachevées, à celles qui sont en suspense et à leur avenir incertain. À celles qui sont incertaines depuis toujours et qui semblaient à peine se stabiliser, que j'ai abandonné et qui pourraient avoir évaporé à mon retour.
Mais l'heure tourne et il faut se mettre en route. Mon sac sur le dos, un au revoir aux nièces de mon hôte et je suis dans le taxi qui m'emmène à la gare routière.
La gare routière de Mbour est un enfer de ferraille sur roues, on distingue à peine un véhicule de l'autre tant la circulation est congestionnée. Les voitures ainsi que les vendeurs de snacks bougent dans tous les sens selon une logique aussi parfaite qu'insaisissable, comme des abeilles dans leur ruche. Heureusement que le taxi pour Joal se remplit rapidement et nous partons presque de suite. Le chauffeur m'adresse un mot que je ne comprends pas, la dame sur le siège arrière me tape sur l'épaule et me donne l'ordre de mettre la ceinture, non sans un zest de blâme.
Différente est la situation à la gare de Joal, où le taxi pour Ndangane, ma destination, met presque une heure à se remplir. Au final ce sont deux toubabs avec un sac à dos comme le mien qui viennent occuper les deux places manquantes, places qui se trouvent toutes les deux sur le siège avant. Oui, on est six dans cette voiture et j'ai l'impression qu'elle pourrait s'ouvrir comme une boite à sardines d'un moment à l'autre.
Les toubabs en question sont un couple d'espagnols très décontractés, avec qui on découvre qu'on a réservé une chambre dans le même campement. Marc est pianiste, Hélène danseuse, ils voyagent comme moi en mode routard et on a le même humour. L'entente naît au bout de quelques fou rires, une des ces ententes qui appartiennent seul au voyage, propres des inconnus qui partagent les mêmes folies à des milliers de kilomètres de la maison. La peur de ce matin n'existe plus.
Nous sortons ensemble pour aller dîner. Le restaurant "Le paradis V.I.P." a des prix correctes et des tables sous la véranda, nous décidons d'entrer. Le gérant nous salue avec une serviabilité excessive et nous accompagne à une table dans le jardin arrière, où la lumière est tamisée et le mobilier d'un style etno-chic parfaitement étudié pour offrir au touriste occidental la bonne dose d'exotisme, sans pour autant léser le confort de son derrière immaculé.
Une fois assis nous remarquons la présence d'un nombre étrangement élevé de toubabs au cheveux blancs, qui portent des montres coûteuses et les chemises à moitié ouvertes sur des tours de taille généreux. Les filles noires qui les accompagnent sont trop jeunes, trop belles, trop bien habillées pour un dîner entre amis dans un village de pêcheurs perdu dans la campagne sénégalaise.
Je sors de là avec un sentiment de dégoût, je me sens sale de la transpiration visqueuse de ces satyres sans dignité. Si je suis malade, cette nuit, ce ne sera pas à cause des glaçons dans mon verre que j'ai oublié de retirer.
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